Ici on est pieds et poings liés avec la terre et le ciel mis ensemble acoquinés. La mer n’est pas en reste de son côté. Quand on se promène c’est fou tout ce qu’on peut voir dans la nature se dévoiler sur un fond bleu-vert chaque instant renouvelé. Un mélange minéral et aquatique de gras et de sec alternés se succèdent en silence. On entend rien. Ça explose pourtant partout dans les coins. Tout cela gagne le sang pas après pas. De pauvres formes géométriques semées au départ du village par on ne sait trop qui s’intriquent imperceptiblement pour constituer de majestueux ensembles colorés en de multiples tonalités bienvenues. Alors on est désireux de savoir et de découvrir ce pays en soi aride. On veut aller plus loin à tout bout de champ et il nous tarde de découvrir ce qui se cache derrière la géométrie de cette banale contrée.
Là on peut voir des formes primitives aux angles aigus venir rythmer de vaste courbes englobant des pensées venues se déchirer contre la digue océanique. Depuis mille ans les cylindres des souches en forêt sont frappés de mystère. Des sphères toutes simples dans le bleu du ciel se distinguent des nuages embrassés d’un regard par-dessus les arbres ronds. Les oiseaux aplatissent tout ça comme ils peuvent avec leurs ailes. Les triangles aux franches arêtes accentuées soudainement renversés sont des vagues aux reflets multipliés, s’assemblant comme en passant contraignant les yeux à se plisser sous l’effet aveuglant du cercle chromatique mais aussi du soleil. Dans une image kaléidoscopique on aimerait déguster le feuillage glacé des arbres ronds au dessert à la petite cuiller or chacun sait qu’on ne joue pas avec la nourriture. Plus loin cette succession d’ellipses colorées et alignées au point de former une chaine bleuté s’achève en élégant cours d’eau serpentant chuintant et continu dans les bois à mots couverts. Voici un littoral aride constitué de ces mêmes triangles maintenant découpés et pierreux mais pointes vers le haut, tout parsemés d’herbes desséchées se frayant à grand peine un passage entre la rocaille jaunie et les noires anfractuosités pour exister.
Les figures vues et contemplées s’animent dans le corps humain en surplomb qui lévite. Elles opèrent là-haut sans efforts superflus. Elles finissent par éclairer jusque dans les membres avec une légèreté de luciole. Vos pieds ne touchent pas le sol. Ça fait un moment. Vous grimpez au fur et à mesure quand vous avancez. Vous descendez sur sa lueur d’insecte. Ça gratte maintenant la queue de l’oiseau. Ça chatouille inouï. Ça vous cloue le bec. Voilà les petites bestioles qui tournoient gaiement un peu partout autour de vous et s’agitent en farandoles armées de leurs seules lueurs dans la nuit. Votre visage est transformé en feuille de papier glacé. Des traits parfaitement droits viennent s’ordonner puis se désarticuler sans piquer. Cela n’est pas dérangeant : il ne s’agissait que de vagues lueurs perçues au loin : presque un rêve lointain sous l’oreiller. Pluies tombées du ciel sans crier gare : allons bon, il ne manquait plus que cela. Vous avez un trou dans votre toit ! Précipitations obliques sur ton nez amoureux de tout cela. Nuées de gouttes d’eau qui passent à l’attaque. On entend l’orage gronder au loin comme un vieux militaire moustachu et bougon. Résonne le canon bataillon. Résonne le carillon. L’angélus des angles tranchants s’accomplissent en douceurs courbées et ambrées qui reflètent un instant cette sensation de plénitude intérieure que vous ressentez en marchant lentement sous la pluie d’été car vous n’êtes jamais pressé d’arriver.
Après, je te dirais, on ne peut que constater l’étendue des dégâts occasionnés : partout sur le sol des flaques et dans ces flaques des reflets dans lesquels vous pouvez vous mirer ainsi que tout le sombre vert derrière. C’est repeint de frais par ici. Vous êtes pris là-dedans comme à l’aube de l’humanité. Vos cheveux mouillés sont redevenus blonds à force d’être trempé. Blanc plus tard ça dure tout un moment de grâce. Des pensées de premier jet composent le réel tandis que vous reprenez la route manquant tomber à la renverse sous le petit chêne rien que pour faire la sieste un brin à l’ombre. Il fait ce qu’il peut pour pousser le bougre. Ça sèche à l’orée de votre petit long. Vous êtes libre de découper soigneusement cette âme selon les pointillés. C’est que la liberté se déploie ici sans effort, sans ciseaux, accompagnant la marche des corps meurtris. Des mal-foutus et malmenés par la vie. Les jours ordinaires et le train de la grande ville quand passe le métropolitain et qu’a déserté la mémoire en ses moindres reflets de miroir dans un coin. C’est un peu comme si s’animaient des danseurs géométriques occupés à réaliser des figures hardies, se combinant concentrés et se recombinant en pirouettes improvisées de haut en bas, de gauche à droite et vice-versa.
Ciel et terre acrobates. Champs du Verdâtre. Étang de Berxceau. Tout est chamboulé. Tout devient rouge jusqu’à la mort. On en ressort hypnotisé. Rasséréné. Transfiguré. Sanglant du dedans et vert malgré tout coulant sur les chaussures de marche à un jet de flèche. Tu vas te faire attraper par ta mère. Ça coule comme une goulée de bière à l’intérieur du bide qui n’en finirait pas de rendre ivre ; c’est votre être ancien qui s’exprime enfin : il meugle. À grands pas en succède à un autre tissé d’or fin et de soierie. Avec avidité. De la sève coule à l’horizon pour compléter le tableau. On redevient frais nouveau-né de lait. Au sein vous n’aurez plus besoin de demander votre route à cette vieille dépenaillée qui à l’aller récoltait en chemin des herbes sauvages avant de les mettre dans un panier d’osier. Vous avez tout gagné. Vous voilà rasséréné. Vous n’avez rien de mieux à faire en semaine on dirait.
Ça finit par former une image complète qui enfin vous reflète avec tout le monde autour comme un message de paix. Oui c’est un peu mystérieux. Voilà pourquoi on dit que la vie est un voyage et qu’on se souhaite bon vent les uns les autres de temps en temps. Quand, chevalet sur l’épaule et parti sur le motif, le peintre Luna croisait au début de sa carrière accompagnée par la rosée matinale cet étranger au beau milieu d’une partie de peinture sur le motif, un peu caché dissimulé parmi les massifs forestiers à l’ombre d’une majestueuse montagne et qu’elle ôtait son couvre-chef au dernier moment en lançant un « Bonjour monsieur Magloar ! », laissant voir ses yeux bruns magnifiques sur un ton un peu exalté de s’être déjà imprégnée de l’avoisinante nature qu’elle se proposait de représenter en peinture l’instant d’après et plus tard encore dans la fraiche solitude et le retrait de l’atelier une fois qu’elle serait rentrée. Pas pour paraître mais elle y repenserait souvent avec nostalgie. Il ne faut pas s’étonner alors si des cornes pointues se mettent à vous pousser d’un coup sur les côtés. Vous y croyez d’enthousiasme : J’ai dû être brin d’herbe dans une vie antérieure ou bien encore un veau blanc de lait destiné à la consommation. Ou lièvre dissimulé. C’est ici ce que pense le paysage par soi-même.
C’est le cas aussi des cyprès géants depuis les cimes verdoyantes jusqu’aux plus enfouies radicelles dans les tréfonds du sol. C’est aussi le cas des arbres ronds dans les creux des souches où vous glissez votre vieille botte comme à l’oreille des anciens. Ces bottes vertes qui prennent l’eau maintenant à force d’avoir butté les mottes sur tous les chemins creux. Par monts et par vaux je vais. Juste une graine au départ ces arbres ronds. Dire qu’on peut voir leur couleur des feuillages orange persistants, tout penchés qu’ils sont au bord de la mer bleue de Prusse en ayant l’air d’en rire car ils se jouent il est vrai du précipice sans craindre d’aller rouler bouler là à la ravine lors de la prochaine tempête et verser avec les roches arides et lézardées qui ont déjà chuté de haut l’hiver dernier faut dire. Plus encore les champs travaillés en leurs moindres parcelles. Ça fait presque peur. On peut voir leur couleur orange oui mais on va voir ce qu’on va voir à cause de l’érosion et tout ce qu’on raconte : c’est à cause des fusées que le climat a changé.
Ici la terre soumise au vent géométrique garde un silence forcené ; qu’on se figure la distance souveraine d’un travailleur de la terre uniquement penché sur son ouvrage, sourd aux tentations du monde menant vers labours et foins dans des parcelles éloignées son misérable attelage. Sa rosse érodée comme les flancs d’une pierre à aiguiser l’aidant à ôter de son champ les galets. Dos plié toute la sainte journée. On est saisi. Étranger à cet autre oisif dans les lointaines nuées bleutées qui tombe d’un coup comme une pierre encore dans la mer avec ses ailes de cire fondue lourdes de pesante vanité. Il se prend pour qui cet oiseau-là ? C’est pas des manières de faire, car la terre travaille ici à l’unisson et le vent ne fait rien de bien au mieux que de porter les oiseaux en l’air mystérieusement par le fait du bon Dieu ainsi que de sombres présages. Ce vent brûlant sans égard les jeunes ivres pousses de printemps. Est-ce que le vent vole en lui-même je vous le demande ? Est-ce que le vent colle en lui-même les objets aux cieux. Sont-ce les pommes de terre ridées prématurément sillonnées de la charrue de ce même vent, saupoudrées de ce sel bord de mer qui rougit les chairs des grands-mères le soir accrochées à leurs chandeliers arbitrairement torsadées par le labeur infini de la terre penchée comme on le sait dans l’espace infini ? Ici le vent est un maréchal ferrant. Pareil c’est lui le patron. Faut tout le temps lutter contre le vermillon. On s’échine. On est d’une autre trempe. On est un autre à soi-même. À quoi bon tu me diras. Ici on n’a pas tôt fait de baisser les bras que la vie reprend de plus belle dans un fracas assourdissant autour de toi dès lors que tu croyais voir la mer s’être retirée et qu’elle revient comme un chat pour t’attraper le bras et mordre.
Aux Magloar il paraissait que c’était pour toujours pour eux cette scène, ce décor de leurs vies. C’était chaque fois la même histoire racontée par les éléments ; je dormais dit la terre et la force des eaux m’a réveillé. Voilà ce qu’on inventait en regardant les flots. Autre chose encore ; je dormais dit le rocher et l’océan m’a réveillé. Les uns disaient une chose. Les autres en racontaient une autre : des histoires de bohémiens voleurs de poules et vendeurs de paniers. Tu pouvais pas compter dessus. Cette fièvre. Tous ces gens narraient cependant la même histoire et on croyait voir des sillons hérisser la surface des mers là où il ne s’agissait que de l’étrave d’un navire longtemps après perçu. On admirait silencieusement l’écume. Les soirs sans piper la flamme se rallumait immanquablement même en plein vent. C’était des mots noroit couverts devenus inutiles sous le fracas puissant des mille vagues choquant les rochers indignés comme l’os des crânes et sous cet os de tête la pensée de tous les récits. Depuis toujours. Mots inopérants efflanqués. Gestes attisant des forces sorcières main dans la main avec des indiens contraires.
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