peinture à l'huile, peintures acrylique, accrochage, été 2023

Dilution

« Y’a un effet de dilution, hein ? ». Avait dit le monsieur au complet bleu et à voix haute, au beau milieu de l’atelier transformé en galerie pour la circonstance d’une exposition estivale. Il avait dit cela devant la série de toiles colorées qui lui faisaient face un peu comme si il avait été seul au monde et non pas en présence d’autres spectateurs ainsi qu’en présence de l’artiste lui-même, qui s’était donné la charge une fois de plus cet été là de gardienner sa propre exposition, de surveiller ses propres tableaux mais à la différence des été précédents il avait invité un autre artiste cette fois-là à l’accompagner à présenter ses travaux. Si bien qu’il se tenait rivé sur sa chaise toutes les après-midi de cet été là comme des étés précédents à gardienner ses propres tableaux ainsi que ceux de son camarade car, comme il l’avait précisé une fois à un visiteur ; « Je ne laisse pas les gens seuls avec les tableaux de cette exposition ».

« Y’a un effet de dilution, hein ? » venait à l’instant d’être prononcée à voix haute et avait résonné dans la petite pièce encombrée d’œuvres d’art sans que personne, ni les compagnons de l’énonciateur ni l’artiste bien entendu ne sachent s’il fallait répondre quelque chose à cet énoncé qui ne paraissait pas réellement être une question mais plutôt une affirmation mystérieuse tombée du ciel comme un cheveu sur la soupe, troublant un silence de cathédrale et qui n’engageait guère la conversation, l’envie d’y répondre, ni le moins du monde la discussion et n’attendait pas apparemment de confirmation de la part du petit groupe d’êtres humains présents.

Ça on peut dire que cette réflexion sortait des sentiers battus.

Une phrase, se disait on, curieusement prononcée à voix haute et qui si elle s’était bel et bien achevée par un point d’interrogation n’avait parue s’adresser qu’à son auteur ; comme un qui a l’habitude de parler seul et à voix haute en préparant seul son manger tout en écoutant la radio et en ouvrant la porte de son frigo pour se servir une bière bien fraiche, sauf que là il y avait du monde autour un peu partout dans la galerie, et ce qui était quand même un petit peu bizarre, c’était de comprendre que la phrase ne s’adressait pas à un ou à plusieurs personnes alors que précisément ce petit monsieur au complet bleu était entouré de gens.

Il s’agissait de ses proches ou peut-être de simples connaissances, des gens en vacances comme lui-même en tout cas des accompagnants avec qui il partageait une certaine familiarité, visiblement, à la façon qu’ils avaient tous de se passer les uns devant les autres, de se croiser sans bouger le nez ; c’était des connaisseurs. On aurait dit des chats qui allaient et venaient doucement sans dire un mot, queues dressées à la verticale, habitués des lieux d’art, tous ces gens regardaient les peintures très rapidement d’une manière presque détachée s’agaçait en le déplorant l’artiste qui se tenait plus que jamais rivé à sa chaise et gardiennait ses tableaux tout en faisant mine de lire quelque chose; un catalogue ou je ne sais quoi d’autre de distrayant par-dessus quoi il examinait ses visiteurs comme un agent secret.

Alors on comprenait que la phrase prononcée presque cérémonieusement par le petit monsieur au complet bleu était perdue, qu’elle était précisément partie se diluer quelque part dans un coin de la galerie comme une balle perdue, qu’elle avait disparue derrière une cimaise, ou traversant même à l’intérieur des tableaux qu’elle aurait ainsi contribué à diluer encore davantage, ainsi que le fait ordinairement l’essence de térébenthine mélangée avec de la peinture à l’huile pour en améliorer la fluidité ou bien même l’eau la plus ordinaire sortie du robinet s’agissant de la peinture acrylique.