Dassin le fils Tangri

Dassin le fils Tangri. Le cadet. L’autre c’est Vigan qu’il s’appelait. Et puis la sœur Marie-Françoise Tangri. Une vedette celle-là. Dassin c’est celui qui avait les yeux très rapprochés. Les deux yeux trop près l’un de l’autre avec juste le nez au milieu. A tel point qu’on aurait pu croire de loin qu’il avait qu’un seul œil pour voir. C’était pas marrant pour lui et ses parents mais nous on rigolait bien. On se moquait de lui bien sûr. Tu sais comment sont les enfants. Un coup il s’était battu avec le fils Régnier qui s’était moqué de lui. Il s’était battu avec une fourche cette fois-là dans l’escalier qui mène au grenier, devant le pressoir. C’était un sanguin le Dassin Tangri. Ils s’énervait tout de suite il prenait la mouche pour un rien. Oui c’était chez nous alors on est venu voir. Y’avait Pancrace et y’avait Joché. Ils pourront te raconter. On était là pour encourager à compter les points. Heureusement pour nous les parents n’étaient pas là ; ils devaient être aux champs. Sinon j’aime autant te dire qu’on aurait attrapé. Ils ont bien failli se tuer devant nous là dans l’escalier. J’avais jamais vu ça. Y’aurait pu y avoir du sang finalement ils se sont juste défoulés sur un chat qui passait par là et puis ils se sont réconciliés avec une bière en s’asseyant sur le plancher. Ça finissait tout le temps comme ça. Je te cogne dessus et on devient copains. On était des sauvages en ce temps-là.

Sakrew Régnier c’était pas un saint. Faut dire encore une fois c’était comme ça. Il ressemblait à Tintin. On l’appelait Tintin c’était son surnom de petit garçon. Un visage rond ovale. Un rond deux points c’était toute sa figure. Un trait pour le nez. Un autre trait pour la bouche tracé dans l’autre sens à quarante-cinq degrés. La mèche en haut du front comme une flammèche de première communion. Tout raide il se tenait avec son bleu de travail dans la cour de la ferme à bayer aux corneilles. Un blond comme les blés mais rouge de peau comme un peau-rouge, surtout les joues, c’était bizarre à dire mais du coup c’est pourquoi on l’appelait Tintin. Des fois on allait regarder dans les albums pour voir à quel point il ressemblait. On allait chercher ceux d’Ilivan Régnier, le frère ainé. On ouvrait les albums on les lisait et on se disait que Sakrew c’était pareil sauf que Tintin n’était pas rouge de figure. Ça lui est pas resté, ce surnom. Après il a changé. Un vrai lion. Une vedette dans le coin. Connu dans tout le cap Sizelé comme le loup blanc. Comme la Marie-Françoise dans un autre genre. Devenu grand il buvait. Il était saoul du matin au soir et du soir au matin quand il partait en riboule à Kerflouze pour se battre contre les marins. Il a eu une histoire avec la Marie-Françoise un jour dans le centre-bourg. Plus tard oui c’est ce qu’on m’a raconté. Je suis pas sûr que tout est vrai. Pas étonnant qu’il soit devenu zinzin.

On sait pas pourquoi Sakrew était rouge comme ça. C’était sa nature même petit. D’ailleurs chez les Régnier ils sont cramoisis alors que chez les Tangri ils sont pâles. Pas tous tu me diras. On est pas des copies les uns des autres dans la vie. T’as qu’à voir le père Régnier déjà ; cramoisi. Mais là y’a la boisson aussi. Bon la mère elle est morte on peut pas se rendre compte. Elle s’appelait Lucille. Elle est morte d’une pneumonie peu de temps après la Toussaint. Un coup de froid au cimetière en s’activant autour des tombes et hop dans l’trou. Celle-là au moins elle travaillait bien. Une vraie sainte. Elle avait du mérite. Sakrew Régnier avait un beau vélo. Un demi-course vert qui étincelait chez eux dans la cour de la ferme. Ça faisait beau quand on passait devant. On le voyait de loin mais bien posé contre le tas de foin. Sakrew aurait pu être un champion. Il a eu un vélo de course plus tard. Douze vitesses et double plateau. Il en a ramené des bouquets chez les parents et des coupes dans le vaisselier. Il était pas assez sérieux. Il n’avait pas la santé. Tout le temps chez le docteur. Tout le temps chez le pharmacien. Pas comme Ilivan. Un bosseur celui-là. Il en abattait des chartées de foin.

Ilivan on sait pas trop comment il avait des albums de Tintin. C’était pas donné. Déjà à l’époque il en avait eu avec son parrain. C’est normal. C’est sûr. On raconte qu’il les a ramené un par un de chez Remplumé. On n’a jamais trop su le fin mot. Il faisait ça discrètement quand il allait au magasin. Ni vu ni connu je prends le Tintin dans la boutique, je le planque sous mon pull et personne ne voit goutte. Monter dare-dare sur le beau vélo vert à Sakrew pour rentrer à la maison en quatrième vitesse c’était même pas gênant pour pédaler, à vrai dire le Tintin arrive en butée sur le ventre il est bien coincé et il risque pas de dégringoler. Rentré à la maison y’avait plus qu’à le cacher un bon coup sous l’oreiller. Hop le Tintin en Amérique. Hop les cigares du Pharaon. Vas-y ! Les parents voyaient rien. Aucun risque : ils avaient d’autres chats à fouetter tu penses bien. Ilivan on lui aurait donné le bon Dieu sans confession.

Marie-Françoise Tangri elle se moquait tout le temps de Dassin. Il étaient dans la même classe à l’école. Elle se moquait de lui dans le car avec les autres filles. Sa copine la Marie-Turquoize aussi n’était jamais bien loin. Elle disait que Dassin n’avait qu’un œil. Elle disait qu’il voyait rien. Elle disait qu’il louchait dans les coins. Elle disait qu’elle allait crever son œil avec une aiguille à tricoter, que ça la démangeait et l’autre ça le faisait pleurer d’un coup devant tout le monde. Il était fâché et se mettait en rogne pour un rien. Elle en loupait pas une Marie-Françoise. Après elle a mal tourné. N’empêche qu’elle avait son bac et les autres n’avaient rien. C’est parti en sucette quand elle est allée vivre sur l’îlot Mauricette. Fâchée avec son père. Fâchée avec ses frères. Là-bas elle s’occupait d’une maison comme on disait. Le nid de poules, ça s’appelait avec des demoiselles. On disait en rigolant qu’en fait de poules elle était partie pêcher la morue sur l’îlot Mauricette, à défaut d’avoir trouvé du maquereau. Je dis ça je dis rien. Maintenant on en entends plus jamais parler. T’as des nouvelles ?

– Des nouvelles de qui ? J’entends rien avec tout ce bruit.

– Des nouvelles je disais de la Marie-Françoise Tangri.

– Non je sais pas ce qu’elle devient.

– Tu vois, je te l’avais bien dit.


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